Si les maires bénéficient d’une certaine protection à l’égard des attaques dont ils peuvent être l’objet, ils n’en sauraient pour autant être interdits de critiques de la part de leurs administrés. En ce domaine, pas toujours simple de situer le curseur entre simple critique démocratique autorisée et diffamation réprimée par la loi. Un arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2014 apporte quelques intéressantes précisions à ce sujet.
Le maire, comme tout officier public, bénéficie d’une certaine protection à l’égard des attaques dont il peut être l’objet. Lorsqu’elles sont publiques, les diffamations ou les injures le concernant relèvent des articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Encourt notamment une amende d’un montant maximum de 45 000 € celui qui aura, via des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, des placards ou des affiches exposés au regard du public, ou encore par tout moyen de communication au public par voie électronique, diffamé un dépositaire ou agent de l’autorité publique.
Il s’agit ici de protéger les représentants de l’autorité publique contre des personnes qui dépasseraient les limites dans les propos publics qu’elles pourraient être amenées à tenir à leur égard. Mais encore faut-il que les limites soient dépassées.
Tel n’a pas été le cas de cette personne qui était en conflit avec le maire de sa commune au sujet de nuisances sonores dont il s’estimait victime et contre lesquelles le maire n’agissait pas assez à son goût. Il est vrai que le maire estimait qu’il ne pouvait pas agir contre ces nuisances sonores sauf à intervenir sur l’ensemble du territoire communal et risquer alors de mettre en péril l’économie locale. Pour faire part de son désappointement vis-à-vis de la position du maire, le particulier avait alors placardé une affiche sur son véhicule – stationné sur la voie publique et devant les locaux de la mairie – sur laquelle était écrit : « Juin 2010, conseil municipal, Z…, le maire, déclare qu’elle ne fera pas appliquer les lois contre les nuisances sonores et si elle le fait ce sera sur tout le village, et cela aura des répercussions économiques. Levier sur le forgeron… ».
La jurisprudence reconnaît la liberté d’expression dans la critique de l’action du maire de la commune
S’estimant diffamé, le maire attaque alors cet administré devant la juridiction civile et obtient gain de cause en appel, le juge considérant que les éléments constitutifs du délit de diffamation publique envers un citoyen investi d’un mandat électif étaient bien réunis en l’espèce. Mais la Cour de cassation ne l’a pas entendu de la même oreille et a cassé l’arrêt d’appel. Elle a en effet estimé que le propos incriminé, « qui s’inscrivait dans la suite d’un débat sur un sujet d’intérêt général relatif à la politique municipale concernant la mise en œuvre de la législation sur les nuisances sonores et le respect de l’environnement, dans une localité rurale dépendante de l’économie touristique », ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression dans la critique, par un administré, de l’action du maire de la commune. A cet égard, la Cour de cassation, après avoir visé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, a rappelé que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 dudit article 10.
Pour mémoire, cet article 10 dispose que « toute personne a droit à la liberté d’expression » et son paragraphe 2 dispose que « l’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
E.S.
Source : Cour de cassation, crim., 8 avril 2014, « Shraga Y… », n° 12-88095