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Intercommunalité : la démographie plus forte que la démocratie ?

Conseil ConstitutionnelLa décision du Conseil constitutionnel en date du 20 juin 2014 (1) n’a pas fini de secouer le monde intercommunal. En ligne de mire, la nécessité pour les intercommunalités de faire prévaloir les critères démographiques sur les accords locaux dans le cadre de la composition de leurs assemblées délibérantes. Explications.


Pour bien comprendre l’enjeu et les conséquences de la récente décision du Conseil constitutionnel, un bref rappel du contexte juridique s’impose. Ainsi, la loi relative à la réforme des collectivités locales du 16 décembre 2010 (2) a prévu la possibilité, pour les membres d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), de s’entendre entre eux via un « accord local » afin de répartir le nombre des sièges représentant chaque commune au sein de leur conseil communautaire. Cette disposition visait, dans l’esprit du législateur, à concilier le respect du principe de proportionnalité dans le cadre de la représentation de chaque commune à l’échelon intercommunal avec les réalités de chaque territoire. Une manière en somme de tenir compte de la diversité des situations territoriales.


Salbris la rebelle

 

Mais dans le Loir-et-Cher, la commune de Salbris (5 856 habitants) ne l’entendait pas de cette oreille. Contestant la répartition des sièges au sein de la communauté de communes de la Sologne des Rivières (3), la collectivité a en effet contesté la validité de tels accords devant le Conseil constitutionnel en recourant à la désormais célèbre procédure de la QPC (question prioritaire de constitutionnalité). Et alors qu’ils n’avaient formulé aucune remarque à ce sujet à l’occasion de l’examen de la loi du 16 décembre 2010, les sages du Palais Royal ont toutefois décidé de suivre la commune rebelle. Ils considèrent ainsi « qu’en permettant un accord sur la détermination du nombre et de la répartition des sièges des conseillers communautaires et en imposant seulement que, pour cette répartition, il soit tenu compte de la population, ces dispositions permettent qu’il soit dérogé au principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque commune membre de l’établissement public de coopération intercommunale dans une mesure qui est manifestement disproportionnée ; que, par suite, elles méconnaissent le principe d’égalité devant le suffrage et doivent être déclarées contraires à la Constitution ».

La décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 aboutit à fragiliser la composition des conseils communautaires dans de nombreuses intercommunalités

En clair, cette décision constitutionnelle aboutit à rendre caduque la composition des assemblées communautaires dans de nombreuses intercommunalités. Avec un garde-fou toutefois : ne devraient être concernées que les instances en cours ainsi que dans les communautés « au sein desquelles le conseil municipal d’au moins une des communes membres est, postérieurement à la date de la publication de la présente décision, partiellement ou intégralement renouvelé ».


On efface tout et on recommence ?

 

A peine l’élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) achevée et la couverture intercommunale de la quasi-totalité de l’Hexagone réalisée (4), avec des élus communautaires désignés au suffrage universel depuis les élections de mars 2014 (5), voici donc que le Conseil constitutionnel invite chacun à se préparer à déjà se remettre à l’ouvrage. « Cette décision est de nature à remettre en cause certains principes historiques de l’intercommunalité ou à nécessiter de mieux clarifier dans la loi sa vocation confédérale », s’est aussitôt insurgée l’Assemblée des communautés de France (AdCF), appelant de ses vœux une clarification des textes. Mais déjà, sur le terrain, des préfets se voient contraints de modifier par arrêté la répartition de certains conseils communautaires pour faire prévaloir les critères démographiques sur les accords locaux. A Lisieux, par exemple, en dépit d’un accord local, le nombre de représentants lexoviens vient tout récemment de passer de 15 à 31 conseillers (sur 66). De là à en déduire que la démographie pèserait plus que la démocratie, le raccourci pourrait être tentant…


En tout état de cause, nul doute que cette importante décision du Conseil constitutionnel ne contribue pas à améliorer l’image de l’intercommunalité française, qui souffrait déjà d’un réel manque de lisibilité auprès de nos concitoyens. Sans compter que sur les bancs du Parlement, on envisage dans le même temps de relever les seuils minimum de population pour constituer une communauté dans le cadre de la réforme territoriale, avec le risque d’éloignement entre les administrés et leurs représentants que cela implique. Difficile dans un tel contexte de s’y retrouver non seulement pour les élus, mais surtout pour les électeurs.


C.R.


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Notes

(1) CC, 20 juin 2014, n°2014-405 QPC, Commune de Salbris

(2) Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales

(3) CE, 11 avril 2014, req. n°375278, Commune de Salbris

(4) Au premier janvier 2014, 99,8 % des communes et 96,4 % de la population appartenaient à un groupement à fiscalité propre selon le Ministère de l’Intérieur (source : Direction générale des collectivités locales, Les collectivités locales en chiffres, janvier 2014)

(5) Loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires

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